Extrait du carnet de voyage d'Amandine
Lundi 31 juillet 2006,
Reylong (Himachal Pradesh), 4403 Km
Eric n’a pas dormi de la nuit. Mais pour une fois, ce n’est pas à cause du froid, d’un caillou coincé sous notre tente, ou encore du clapotis de la pluie. Il me confie son angoisse : la peur ressentie sur ce dernier passage de col (Kugti, 5040 mètres), la sensation de ne pas être a la hauteur, et en perpétuel danger. Et comme si cela ne suffisait pas, nous ne sommes pas redescendus dans la bonne vallée ; cela signifie qu’il faut y remonter !
« Je ne peux pas faire demi-tour. Je ne retournerais pas là haut ! »
Pour moi à l’inverse, ne pas y retourner serait un échec. Toutes ces difficultés me renforcent dans mon envie d’y retourner et de dépasser l’obstacle. Ne pas flancher face à ces nouvelles difficultés, mais bien, apprendre à accepter nos erreurs, aller s’y « re-frotter », et continuer d’aller de l’avant.
Deux points de vue, qui, à peine exposés, nous font nous interroger. Eric aurait-il raison ? Ne sommes-nous pas assez expérimentés pour de la haute montagne ? Et s’agit-il, pour ma part, de courage ou de fierté, de vouloir ainsi y retourner alors que le passage était périlleux ?
Ou à l’inverse, n’est-ce pas l’angoisse qui finit par rendre ce passage plus difficile qu’il n’est réellement ? Ne sommes-nous pas en train de nous monter la tête, sur un passage dur physiquement seulement ? Eric s’est-il trop projeté dans notre retour et Rennes, qui sont devenus des sujets récurrents, pour en oublier notre projet : relier Kaniyakumari à Leh ? Enfin cela ne serait-il pas la pire des fins que de s’arrêter ici sur un échec ?
Un thé, proposé par les trois gaddhi (bergers) qui partagent notre campement, nous sort de nos tergiversations quelques instants.
Mais, seule face à ma tasse de thé, je sombre à nouveau…et le doute m’envahit. N’est-ce pas important de savoir reconnaître ses faiblesses, en particulier lorsque l’on se mesure à la montagne ? De plus, lors de ma propre angoisse, sur les routes du sud Rajasthan, concernant la proximité des voitures et des camions, qui parfois nous frôlaient, emportés par leur vitesse dans un virage, je regrette de ne pas avoir été prise au sérieux…cela s’étant terminé un accident* que je pressentais !
Cette fois, c’est peut-être à mon tour d’écouter les craintes de mon mari, et de les prendre au sérieux ! Peut-être est-il conscient d’un risque que l’on court et que je ne vois pas ? Suis-je devenue embrumée par la confiance acquise par nos 4403 Kms ?
Enfin dernier argument de taille : est-on toujours dans la marche indienne, une aventure humaine, ou bien sommes-nous en train de glisser vers un exploit sportif dans lequel seul compte l’aboutissement ? Notre projet de départ était bien clair : ne pas tomber dans ce travers du voyage vers un but, car le but n’est pas pour nous un point géographique, mais bien un genre de vie à développer jour après jour. Mais alors, quelle plus belle fin que d’accepter le destin, dans son pays-roi, celui qui nous a menés là, dans cette vallée perdue de l’Himachal Pradesh, au milieu des moutons et des bergers qui nous accueillent, et au pied de la chaîne du Pir Panjal.
Derrière, se dressent celles du Zanskar puis du Ladakh, qui nous faisaient tant rêver. C’est le début des infrastructures de trekking ; on parle de villages, de « parachute tent », de « lodge », de petits « tea shop », de ponts pour traverser les rivières, et simplement de « trail » (piste)…
Nous nous trouvons donc au pied de la poule aux œufs d’or pour un trekkeur ! Mais cela aussi nous fait peur : terminer dans un paradis pour trekkeurs pour atteindre Leh, et se demander alors « mais au fait, pourquoi s’arrêter a Leh ? » !!
A l’inverse, une fin naturelle, dans cette vallée himalayenne, renforcerait le pouvoir des rencontres qui ont fait notre route.
C’est décidé, d’un commun accord, notre marche indienne s’arrête donc ici, c'est-à-dire nulle part…
* Le 7 mai, Eric a en effet été renversé par un camion ayant chassé en sortie de virage. Heureusement, pas de casse, seule une grosse angoisse a été à déplorer. Deux jours de repos, et c’était re-parti !
Nous remercions tous ceux qui nous ont suivis et soutenus pendant cette année, et en particulier nos familles. Encore merci et à bientôt...